Mémoire d’école (Paul Bert 1945-1952)
Après quelques très désagréables tribulations durant la guerre, je réintégrais en octobre 1945 le groupe scolaire Paul Bert et ma première institutrice en CE 2 fut Madame Briançon.
L’école comprenait le bâtiment principal que nous connaissons encore de nos jours mais sans les deux « extensions architecturales » à chacune de ses extrémités. Il était divisé en deux parties toujours indiquées sur la façade : « Filles » et « Garçons ». Le directeur logeait (Mr Lemoine ?) dans un petit bâtiment pseudo haussmannien qui se trouvait à la place de l’actuel local de la PMI sur l’avenue R. Salengro.
La cour de récréation était divisée en deux parties par un mur en briques de 2 mètres de hauteur et de chaque côté de ce mur se situait une classe « en construction légère », à savoir, beaucoup de lattes de bois et pas d’isolation thermique. En un mot du temporaire qui durait !
Après cette classe et du côté « Garçons » étaient les commodités « à la turque », puis le long de la rue de Stalingrad, ex rue des Ecoles, se trouvaient la cantine, une classe, le préau avec un grand lavabo en ferraille émaillée blanche, qui avait subi de nombreux outrages, encore deux classes contiguës, toujours de « construction légère » et enfin une sorte d’aire de jeu prétendument sablonneuse mais surtout boueuse toute l’année.
La cantine dans les années qui suivirent la fin de la guerre n’était pas très gastronomique ni nutritionnelle car les plats étaient surtout à base de féculents douteux ou charançonnés, de pommes de terre flétries ou grises ayant subies des gelées et de viande bouillie. Il fallait apporter son pain, qui était toujours rationné dans les boulangeries, avec sa serviette et ses couverts. Le régal des « convives » était les omelettes à base d’œuf en poudre (Made in USA) et le fromage, sorte de pâte blanche dans des boites de fer étamé de plus d’un kilo (Made in British Commonwealth).
Aux récréations du matin et de l’après midi, l’enseignant nous distribuait des biscuits vitaminés. Les deux hivers qui suivirent la fin de la guerre furent assez rigoureux et les culottes courtes des écoliers laissaient voir des genoux rougis par le froid ou gercés. Mis à part le bâtiment principal qui était un peu chauffé par un chauffage central soumis aux restrictions de combustible, les classes extérieures étaient réellement de vraies chambres froides, et les élèves étaient autorisés à garder leurs manteaux durant les périodes très froides. Le chauffage se résumait à un poêle à bois par classe, peu efficace et qui fumait énormément.
Je me souviens de madame Maillot, institutrice de la classe de CM 2 (1° étage), qui était une personne très stricte aussi bien pour l’instruction que pour la discipline. Ne disait-on pas que si on passait « l’épreuve » de l’année avec madame Maillot, on aurait aucun problème pour « continuer » avec son mari, qui enseignait dans les mêmes conditions en 6° et 5° !
Il y avait aussi monsieur Auer, instituteur dans l’autre classe de CM 2 (2° étage), et dont les méthodes pédagogiques étaient très particulières avec un atelier d’imprimerie, un enseignement très libre et abordant tous les jours des sujets non répertoriés au programme pédagogique en vigueur. Pour l’époque, cela semblait être une dérive que n’appréciaient nullement les parents et que le directeur de Paul Bert et les inspecteurs d’académie ne contestaient nullement. Peut être était ce un essai pédagogique en expérimentation ?
Alors que madame Maillot avait pratiquement toute sa classe qui passait en 6°, monsieur Auer n’en eut qu’une faible partie, et tous les élèves abordant leur quatorzième anniversaire furent orientés vers la classe dite « de fin d’étude » (au 2° étage au fond du couloir) pour obtenir le CEP et être dirigés vers un centre de formation professionnelle. A cette époque, le centre d’apprentissage de Renault était en vogue et avait une très bonne côte.
Le jeu de billes était celui qui se pratiquait le plus. Le gros arbre, peut être centenaire, qui se trouvait dans le milieu de la cour de récréation était truffé de trous dans la terre sur sa périphérie. Le jeu à la mode était appelé « Le caissier ». Cela consistait à lancer un paquet de billes vers le trou, et le caissier ramassait les billes si leur nombre dans le trou était IMPAIR. Il restait caissier. Si le nombre était PAIR, il payait le nombre équivalent de billes et perdait sa place de caissier, remplacé par celui qui avait gagné.
Mais pour moi les souvenirs les plus marquants sont de la 6° à la 3°.
Depuis 1946 ou 1947, monsieur G. Brégeon était directeur de Paul Bert « Garçons ».
La classe de 6° avait pour enseignant responsable monsieur Brasseur, professeur d’anglais des quatre classes du cours complémentaire et en plus enseignant en français, histoire et géographie de « sa » 6°. C’était un petit bonhomme, en blouse grise et béret basque durant les cours, avec une certaine autorité et un flegme très britannique.
Il partait du principe que pour se familiariser avec une langue étrangère il fallait connaître mille mots, c’est à dire qu’en une année et à raison de trois mots par jour, c’était gagné ! Les manuels d’anglais comportaient un alphabet barbare, ou phonétique que monsieur Brasseur n’appréciait pas du tout et dont il ne voulait pas entendre parler. Tous nous avons eu droit aux verbes irréguliers, aux gérondifs et autres prétérits avec des répétitions multiples et des pages de punitions sans appel.
Alors que mademoiselle Allard, professeur d’anglais côté filles, programmait annuellement pour « ses filles » des stages de quelques jour à Maidstone ( Grande Bretagne), lui ne voulut jamais faire à l’identique, bien qu’il eut de nombreuses relations outre Manche.
En 5°, ce fut avec monsieur Maillot, blouse grise et baguette en main, la continuité, mais plus accentuée, de la discipline de madame Maillot. Professeur de français, d’histoire et de géographie, personne ne disait mot durant ses cours. Partant du principe que le français moyen de l’hexagone était nul en géographie, il nous informa qu’avec lui cela changerait, au moins dans cette classe. Le programme de géographie de 5° était « Le monde moins l’Europe ». Aussi Oulan Bator, Tégucigalpa, Belize, Pretoria, Léopoldville, …. n’eurent plus aucun secret en fin d’année pour les situer sur une carte. Et c’était presque devenu un jeu !
Monsieur Maillot avait été prisonnier de guerre et semblait très affecté par ce qu’il avait vécu, mais n’en parlait jamais à ses élèves. C’était une personne très réservée et on pourrait dire sans doute timide. Il enseigna même à son fils unique qui plus tard deviendra polytechnicien via Louis le Grand. A la retraite ils se retirèrent en Bretagne.
Les mathématiques et les sciences étaient enseignées par monsieur Lucien Ferrand (aujourd’hui âgé de 87 ans et avec qui je suis toujours en relation) en 5°, 4°, et 3°.
Monsieur Ferrand était l’enseignant responsable de la classe de 4°. Indifféremment en blouse grise ou blanche avec sa baguette à la main et des bouts de craie de toutes les couleurs dans ses poches, même de son pantalon, c’était vraiment un érudit et un enseignant de haut de gamme. Féru de mathématiques et de sciences physiques ou naturelles, il arrivait à déborder du programme officiel pour nous inculquer des notions de classe de 3° et même de seconde. Il enseignera même à ma fille cadette, vingt plus tard.
Dans cette classe de 4°, nombreux étaient ceux qui passaient le CEP et le CEC (Certificat d’études complémentaires) qui était obligatoire. Ne pas être reçu, cas rare à Chaville, était ressenti comme une très grande vexation.
De temps à autre il aimait un peu de détente et riait de bon cœur lorsque d’une façon humoristique il demandait : « Avez vous compris ce que votre vénéré maître vient de vous dire ? » et nous répondions tous en cœur « C’est clair mon Ferrand !!! ».
Madame Ferrand, était l’infirmière du groupe scolaire et son bureau et l’infirmerie étaient au 2° étage, sur le seuil de l’escalier desservant les 2 étages.
Le français, l’histoire et la géographie étaient enseignés par monsieur Baléo, personnage impressionnant par sa carrure et sa voix de stentor. De plus il venait à Chaville en Citroën traction avant 11 Cv, magnifique et rutilante ce qui permettait d’asseoir son personnage.
Responsable de la classe de 3°, il n’hésitait pas à éjecter manu militari tout élève qui commençait tout juste ou à peine à troubler le silence de la classe.
La réussite au BEPC était spectaculaire et mon année fut une des meilleures avec 22 reçus pour 22 présentés. Dans ce lot, il y avait Jacques Loppion, 14 ans seulement, toujours premier de la classe à chaque trimestre. Il finira lui aussi à polytechnique. Tant qu’à monsieur Aupetit, il sera professeur d’anglais au lycée Jean Moulin et aura ma fille cadette comme élève.
Le directeur, monsieur Brégeon, prenait chacune des classes de 5°, 4° et 3° une fois par semaine pour une dictée notée, et ce de 08 h 00 à 08 h 30.
La discipline était sans faille, et aussi sans recours. Si un enseignant sortait un élève de sa classe, celui ci attendait à la porte le passage du directeur pour se voir signifier une « colle » pour le samedi après midi et un mot pour les parents à faire signer. Il n’y avait, à ma connaissance, aucune association de parents d’élèves à la fin des années 40 et début des années 50. Aussi le « justiciable » était il littéralement « atomisé » si le père venait voir l’enseignant qui avait puni. L’enseignant avait toujours raison quoi qu’on ait pu rétorquer !
En cours d’année les « grandes classes » allaient à la piscine, Lutétia à Paris, par le train, et le déplacement à pied de la gare Paris Montparnasse à la piscine. Monsieur Zbona, unique professeur de gymnastique nous accompagnait et de temps à autre nous faisions un peu de sport sur le terrain du boulevard de la République qui sert maintenant de zone de stockage pour la mairie de Chaville.
A l’exception des classes de 4° et de 3°, il était interdit de sortir à 16 h 30 si nous devions rester en étude surveillée jusqu’à 17 h 45. Ceux de 4° et de 3° se permettaient d’aller chercher des petits pains chez le boulanger du Puits sans Vin et de lier conversation avec les jeunes filles des mêmes classes !!
En fin d’année, fin juin, il y avait le voyage d’une journée au bord de la mer, à Deauville, Dieppe, Ètretat, etc. Nous embarquions, filles et garçons et accompagnateurs enseignants, dans un train spécial à vapeur à SNCF – Chaville RD, après avoir passé les arcades de Viroflay, nous étions aiguillés vers la direction de Mantes et Rouen.
Nous emmenions nos provisions pour un pique nique de plage et le soir nous rentrions fourbus avec de gros coups de soleil. C’était un moment de vraie détente, surtout pour ceux de 3° qui blaguaient avec leurs enseignants, car pour eux la 3° était le « terminus Paul Bert » avant les lycées ou autres orientations.
Enfin il faut conclure en disant que les notes attribuées aux élèves étaient sévères. Le premier de la classe se contentait, en 3°, d’un 14,5 / 20 car une faute en orthographe c’était 2 points en moins, un accent ½, une lettre mal faite – lettre majuscule type imprimerie – ½ point aussi, etc. Moi même 6° de la classe sur 22, je me contentais d’un 12 ,5 sur 20 avec de très honorables appréciations.
L’écriture était primordiale à Paul Bert et nombreux étaient ceux qui devaient faire des lignes d’application. Jusqu’en 4° nous avions les pupitres en bois pour deux, avec les encriers en faïence blanche et l’encre violette pour les plumes « sergent major » et faire de beaux pleins et déliés ! En 3°, nous avons eu les tables aux pieds métalliques verts et écritoires en bois vernis. Nous avions la permission d’utiliser des stylos à encre type Waterman, mais les premiers « Bic » étaient interdits.
Jean-Claude MARY