Odonymie : comment les noms viennent aux rues

 L’odonymie est l’étude des odonymes, parfois aussi écrits hodonymes, noms propres désignant une voie de communication. Un odonyme peut être le nom d’une rue, d’une route, d’une place, d’un chemin, d’une allée. Elle s’inscrit dans le domaine de la toponymie qui étudie plus largement les noms de lieux en géographie et plus généralement dans le domaine de l’onomastique, l’étude des noms propres.

Typiquement, un odonyme comporte deux parties : un nom individuel (« Victor-Hugo », « République », etc.) et un indicateur du type de voie dont il s’agit (« rue », « boulevard », etc.). En général, un odonyme est un élément d’une adresse postale (mais ce n’est pas systématique) ; les édifices le long de la voie peuvent posséder un numéro pour permettre leur identification individuelle.

Selon le degré de ruralité ou d’urbanisation des cités humaines, les éléments de voirie ont des types différents. On trouve ainsi des routes pour relier des villages, des rues pour regrouper les habitations d’un hameau, des places pour décrire des zones semi fermées, souvent à des croisements de rues, ou bien pour dégager un édifice remarquable. Des éléments de moindre importance, et souvent courts et peu larges, sont des rues en devenir : chemins, sentes, ruelles…

Toutes ces dénominations traduisent une certaine hiérarchie entre les lieux de circulation, bâtie au fil des siècles mais parfois remise en cause par l’urbanisation. Elles reflètent aussi une manière de vivre, village ramassé sur une particularité géographique ou au sein de fortifications circulaires, village-rue ou en étoile, etc..

La formation des noms des voies répond au besoin de situer ces constituants de l’aménagement urbain en levant des ambiguïtés mais aussi d’honorer des personnages illustres. Les nouvelles lois demandent que soit adoptée la numérotation métrique lors de l’attribution des numéros des édifices. ; C’est ce qu’avait Marcel Houlier pour la Grande Rue (avenue Roger Salengro). Mais on peut aller plus loin, comme aux États-Unis d’Amérique, en utilisant un  un quadrillage de rues et d’avenues, simplement numérotées.

Un peu d’histoire

L’étude de l’origine des noms de voies est l’odonymie, du grec odos chemin, onuma nom). Il est possible de distinguer plusieurs époques où l’on observe une typologie similaire des noms de rue sur le territoire français :

  Moyen Âge : à la fin du XIIIe siècle, avec l’extension et le peuplement des villes comme Paris, la nécessité se fait sentir de distinguer les maisons les unes des autres. Les dénominations répondent à cette époque à une logique fonctionnelle. Le nom de la voie est celui du lieu qu’elle dessert, ce lieu étant religieux (« place de l’Église », « rue des Capucins ») ou civil (« place du marché », « rue des Bouchers », noms souvent en référence aux métiers qui sont regroupés dans une rue qui en prend le nom ou des « maisons où pend l’enseigne »), etc.

  À partir de 1600, sur une idée du duc de Sully, les rues adoptent des noms n’ayant pas de rapport direct avec le lieu désigné, alors que leur dénomination devient progressivement un monopole public et royal : d’après le chercheur Dominique Badariotti, ce dernier « s’exerce dès lors tant bien que mal, fonctionnant mieux à Paris qu’en province et valorisant les puissants du royaume ou les notables régionaux » ;

  Révolution française : la débaptisation est relativement courante, les instances révolutionnaires ne changeant pas seulement les noms des rues mais aussi des villes : des « rues de l’Égalité » ou des « places de la Nation » apparaissent dans la plupart des cités. Ainsi les mentions gravées sur les pierres d’angle sont martelées, les particules enlevées… ;

  Premier Empire : déjà sous le Directoire, la débaptisation s’essouffle. Sous l’Empire le phénomène s’inverse et les « rues Saint-Antoine » ou « rues de l’Église » sont réintroduites. C’est aussi l’époque de l’apparition des noms de généraux, de maréchaux et de victoires militaires dans les villes françaises : « rue de Wagram », « rue Ney », etc. ;

  Fin du XIXe siècle : la guerre franco-prussienne de 1870 et l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par l’Allemagne incitent de nombreuses communes à exalter le patriotisme et à créer des boulevards et rues de Strasbourg, de Metz, d’Alsace-Lorraine, etc.

  XXe siècle : l’éclectisme domine. Les courants principaux sont les personnages célèbres – majoritairement masculins -, les régions géographiques et les pays (« rue de Colmar », « rue du Japon », « rue de Brest », « rue des Pyrénées », etc.) et enfin les références à la nature (« rue des Fleurs », « rue des Alouettes », etc.).

Que dit la loi ?

Qui décide ? Existe-t-il des règles encadrant le nommage des voies ? Nous tentons de donner ci-dessous quelques éléments tirés de la Presse Quotidienne Régionale et du Quotidien des maires de France. (2015-2018)

La loi et la pratique

  La compétence du maire et du Conseil municipal.

La loi du 5 avril 1844 sur l’organisation municipale précise que « le maire de chaque commune a le pouvoir de procéder à la dénomination des rues et places publiques, après délibération du conseil municipal et approbation de l’autorité supérieure ».

 L’autorité supérieure désignant en l’espèce du préfet, lorsqu’il s’agit d’un hommage public ou du rappel d’un événement historique. Dans les faits, l’autorité supérieure est très rarement sollicitée et la plupart du temps, son silence vaut approbation.

Cette règle devient en revanche obligatoire lorsqu’il s’agit du nom de personnes « françaises encore vivantes ou étrangères », selon le décret du 12 avril 1948. Mais elle n’est pas davantage appliquée dans ce cas de figure que dans le précédent. Aucun article de loi ne régit la dénomination des voies. Pourtant, les conseils municipaux doivent suivre quelques règles.

Depuis les lois de décentralisation de 1982, la dénomination d’une voie publique relève exclusivement de la compétence des communes, conformément à l’article L2121-29 du code général des collectivités territoriales.

L’intérêt public local peut jouer, ce que résumait en 2011 le ministère des Collectivités territoriales :

« L’attribution d’un nom à un espace public ne doit être ni de nature à provoquer des troubles à l’ordre public, ni à heurter la sensibilité des personnes, ni à porter atteinte à l’image de la ville ou du quartier concerné. »

Aux considérations d’intérêt public local s’ajoute le principe de neutralité auquel est tenu le service public. Difficile d’imaginer par exemple qu’une rue ou un édifice public puisse porter le nom d’une personnalité vivante exerçant des responsabilités politiques.

Un souci récent de parité homme-femme influence les nouvelles dénominations, voire induit des changements de noms.

  Les obligations administratives

Si la ville de Paris doit nommer toutes ses voies, les communes de plus de 2.000 habitants doivent communiquer au centre des impôts fonciers ou au bureau du cadastre la liste alphabétique des voies de la commune et du numérotage des immeubles, ce qui induit une dénomination des voies.

Celles de moins de 2 000 habitants le font, pour aider les services de secours et de sécurité à mieux opérer, ainsi que pour une meilleure livraison du courrier et des colis. La Poste recommande de choisir des noms qui ne font pas plus de 32 lettres, et qui n’existent pas sur les communes au même code postal.

  Modus operandi et recours

C’est au conseil municipal que tout se décide. De plus en plus de communes font participer les habitants, pour choisir les noms adéquats. Après avoir reçu des propositions concernant la dénomination d’une rue, le maire choisit -ou non- de les inscrire à l’ordre du jour du conseil municipal. La procédure s’applique pour débaptiser une voie.

Une fois que le conseil municipal a voté, il adresse une copie actant le nom des voies, ainsi qu’un plan aux différents organismes de secours, et de livraison et également à La Poste, à certains services administratifs et aux sociétés exploitant les systèmes de navigation GPS.

Si le préfet estime que les noms choisis portent atteintes à quelqu’un, il est possible de déposer un recours devant un juge administratif pendant les deux mois suivants la délibération.

Si les habitants d’une commune peuvent être consultés sur les choix des noms de rues, ils peuvent aussi, tout comme le sous-préfet ou le préfet, les contester devant la justice administrative : la loi leur offre également un délai de deux mois après la publication de la délibération.

La motivation du recours peut être très prosaïque : un individu peut par exemple mettre en avant des contraintes administratives engendrées par le changement de son adresse postale. Les grandes villes contournent l’obstacle en nommant des squares, esplanades, jardins, croisements où personne n’élit domicile.

Personnalité vivante ou décédée ?

Théoriquement, même si le ministère de l’Intérieur le déconseille, rien n’interdit d’attribuer à une voie ou un édifice public le nom d’une personnalité vivante. C’est particulièrement le cas dans le milieu sportif où des stades municipaux, gymnases, piscines, sont baptisés du nom d’un champion, par exemple un médaillé olympique. Cela permet alors une belle cérémonie d’inauguration en présence de l’intéressé.

Pour mettre un frein aux émotions – bien légitimes – après le décès d’une personnalité marquante pour la ville ou pour la nation, des municipalités ont fixé une règle qui consiste à attendre un délai de 5 ans après la mort d’une personnalité pour donner son nom à une rue. Cette règle prévaut actuellement à Paris même si rien n’est imposé par la loi.

À Paris, une délibération du 9 décembre 1938 n’autorise normalement pas la dénomination d’une voie du nom d’une personne qui n’est pas décédée depuis moins de cinq ans. Mais plusieurs décisions municipales y ont dérogé : la rue Annie-Girardot, inaugurée en septembre 2012, moins de deux ans après son décès, ou la place Jean-Paul-II, sur le parvis de Notre-Dame, inaugurée seulement un an après sa mort.

À Chaville, on attendit une délibération du 4 mars 1934 (4 mois après sa mort) pour dédier l’ancienne rue des Chatre-Sacs. au professeur Émile Roux

Dans le dictionnaire

Le vocabulaire français est très riche pour décrire les voies de circulation. Il est en général hérité des Romains qui ont façonné la Gaule de ce point de vue.

Types de voies

Les noms composés de rues et, d’une manière plus générale, de voies (au sens le plus large : boulevards, avenues, passages, places, squares, ponts, etc.) s’écrivent toujours avec des traits d’union : rue du Commandant-Mouchotte, rue des Quatre-Frères-Peignot, rue de la Grande­-Chaumière, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, rue Pierre-Larousse, place du 14-Juillet.

Lorsqu’un nom de voie est caractérisé par un adjectif, celui-ci prend la majuscule : porte Dauphine, rue Nationale, rue Haute, rue Royale.

Les noms de personnes ne sont pas précédés d’une préposition, sauf devant un adjectif ou un titre : rue Réaumur, boulevard Edgar-Quinet, place Charles-de-Gaulle, mais rue du Bon-Pasteur, rue du Chevalier-de-La-Barre, avenue du Général-de-Gaulle. – Les noms de lieux sont précédés de :  de, du, de la : boulevard de Sébastopol, rue de Crimée, rue du Mont-Thabor.

Lexique

On trouvera la définition des dénominations des voies dans les dictionnaires de langue française. (Allée, Artère, Avenue, Boulevard, CarrefourChaussée, Chemin, Clos, Cour, Contre-allée, Cours, Esplanade, ImpassePassage, Pavé, Place ou Parvis, Pont, Promenade, Quai, Rond-point ou Étoile, Route, Rue, Ruelle, Sente, Sentier ou Venelle, Square, Tunnel, Voie ou via……( à vous de compléter)

  Écriture du nom des rues

« de » ou pas « de », majuscules ou minuscules

L’écriture du nom des rues (rues, boulevards, places, avenues, squares, ponts, etc.) dépend du contexte (texte littéraire, adresse postale) mais répond à des règles.

Les noms de voies de communication (moyens de liaison et de circulation) sont formés d’un élément commun : rue, boulevard, place, avenue, square, pont, chemin, impasse, cité, autoroute, qui définit le type de la voie et d’un élément spécifique, qui définit le nom donné à cette voie : Rue de la République (Pas de point à la fin d’une ligne d’adresse).

Les noms de rues, majuscules, minuscules et traits d’union

  L’élément commun s’écrit avec une minuscule : 10 boulevard Bellevue.

Sauf : sur les plaques de signalisation, sur une carte, sur une plaque de rue, dans un index ou un répertoire… où il prend une majuscule : Impasse du Loup

  L’élément spécifique prend toujours une majuscule : 10 place Clémenceau, 33 rue Montante

  Si l’élément spécifique est un nom propre : On ne met pas de préposition « de » : 33 allées François-Verdier (Et non > 33 allées de François-Verdier).

Mais : 66 avenue de Lattre-de-Tassigny (car ce nom s’écrit Jean de Lattre de Tassigny).

  Si ce nom comporte un titre nobiliaire, le nom propre prend une majuscule, mais la particule nobiliaire reste en minuscule : 8 avenue Charles-de-Gaulle

  On ajoutera en minuscule les articles ou les particules de liaison (de, des, du, le, les, aux) qui relient l’élément de base et l’élément spécifique s’il s’agit d’un nom autre que celui d’une personne : Pont de Valmy – Impasse des Platanes – 22 route de l’aéroport d’Orly ou de Roissy-CDG – 10 rue de l’Église – 44 boulevard de Suisse.

  « de, du » s’imposent quand le nom de personne est précédé d’un titre : Avenue du maréchal Joffre

  Si l’élément spécifique se compose de plusieurs mots :Il est automatiquement lié par un trait d’union : 33 avenue des États-Unis – Rue d’Oradour-sur-Glane Mais : si devant le nom il y a un article, ce dernier n’est pas lié par le trait d’union : 245 route de Saint-Simon

  Si l’élément spécifique est composé d’un nom propre ou d’un nom célèbre comportant plusieurs mots, ces derniers mettent tous la majuscule : 10 boulevard Jean-Jaurès – 66 avenue Alphonse-Daudet – 20 place La Fayette

  Courrier : Pour le nom des rues et suite à une approche méthodique, l’administration des Postes a choisi de toujours placer un trait d’union entre le prénom et le nom de famille :
  Avenue Jean-Moulin – Rue George-Sand (Mis pour George Sand).

D’après la Grammaire AIDENET

Un patrimoine négligé et menacé

La lecture sur le web d’un article de Michel Baumgarth, intitulé Un patrimoine négligé et menacé : les étonnants noms de nos rues, ruelles et chemins, a stimulé notre réflexion de par sa pertinence

Rappelons l’introduction de l’auteur : « La routine rend bien des objets de notre vie quotidienne transparents à notre regard : bien qu’ils nous soient indispensables, on ne les voit vraiment que lors des rares circonstances où on les utilise consciemment. Les plaques qui mentionnent le nom de nos rues n’échappent pas à cette fatalité. Pendant de longues années, je n’ai vu en elles que le support des banales indications indispensables pour se repérer en ville et permettre la distribution du courrier ; mais un événement fortuit m’a fait prendre conscience que, si la majorité d’entre elles sont de la plus grande banalité, il se cache au milieu de cette multitude de véritables bijoux. »

Des pistes historiques

Au fil du temps, que deviennent ces noms de voies qui font référence à des lieux-dits oubliés, à des monuments ou à des métiers disparus, à des références anecdotiques ? Y pensons nous quand nous empruntons ces voies ? Levons nous encore les yeux sur ces plaques émaillées ? Pire, qui connaît encore ces personnalités qui furent célèbres en leur temps ?

Et maintenant, que faire ?

Les plaques de rues constituent donc un patrimoine négligé ou menacé. Il est vrai qu’il faut faire un peu de place pour les références modernes ou expurger les anciennes ; ces noms bucoliques ou bien ne parlant plus à la population sont souvent « revisités » comme on dit maintenant, et finalement sacrifiés.

Toutefois il est de notre  devoir d’en garder le souvenir et aussi la signification.

Au gré des ravalements et des constructions, des plaques ne sont pas replacées, ou d’autres sont remplacées et perdent les mentions explicatives annexes (dates de naissance et de décès, activité, rôle local ou national).

Ce texte a été en grande partie écrit par Jean Larour (ACVTFI) à l’occasion d’une exposition philatélique et cartophilique à Viroflay. Merci au président Jean Larour

Pierre Levi-Topal